A Berlin, lors du Sommet sur la souveraineté numérique européenne, Emmanuel Macron et Friedrich Merz ont affiché une ambition commune : réduire la dépendance technologique du continent et construire un écosystème numérique véritablement autonome. Le cloud souverain est désormais au cœur de cette stratégie, tandis que les acteurs technologiques européens affinent leurs solutions pour constituer une alternative crédible aux hyperscalers américains et chinois.

L’Europe reconnaît depuis longtemps son retard en matière de technologie numérique, mais le sommet sur la souveraineté numérique européenne du 18 novembre pourrait marquer un tournant. Devant un parterre de leaders technologiques, le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Friedrich Merz ont appelé à simplifier les règles, à accélérer l’innovation et à réduire l’exposition aux géants non européens. Leur avertissement est clair : l’Union européenne ne peut plus se résigner à n’être qu’un vaste marché captif face aux puissances mondiales du cloud, de l’intelligence artificielle et des données.
Cet événement franco-allemand n’avait rien à voir avec une réunion formelle. Près de 1 000 participants étaient réunis, parmi lesquels les principaux acteurs européens du numérique. Paris et Berlin ont annoncé 18 partenariats couvrant la santé, la défense, la recherche ou encore l'IA, pour un investissement public d'un milliard d'euros. A cela s'ajoutent douze milliards d'engagements privés, preuve que le tissu économique européen répond à l'appel des deux capitales.
Parmi les annonces fortes, la volonté de déployer dans les administrations une offre combinant les solutions IA de Mistral AI et les outils logiciels de SAP. Autre signal notable : la création d'un front commun entre l'Association fédérale AI et le France AI Hub pour harmoniser leurs positions en matière d'innovation responsable et de gouvernance des données.
Emmanuel Macron et Friedrich Merz ont également décidé de peser sur le terrain réglementaire. Ils ont demandé à la Commission européenne moratoire sur certaines obligations liés à l’IA à haut risque, ainsi qu’une révision du RGPD. L'objectif : stimuler l'innovation, tout en renforçant la protection des données européennes face aux lois extraterritoriales américaines et chinoises.
Les positions françaises et allemandes convergent désormais clairement vers le cloud. Friedrich Merz s'est aligné sur la vision défendue par Emmanuel Macron : l'Europe doit avoir une définition précise du cloud souverain, garantissant que les données hébergées sur son sol ne puissent être consultées par une puissance étrangère. Une évolution majeure, après des années de prudence allemande sur ce sujet.
Les deux pays souhaitent demander à la Commission européenne d'intégrer cette définition dans la future loi CAIDA, attendue début 2026. Parallèlement, leurs agences nationales de cybersécurité travaillent à harmoniser les critères de souveraineté au sein des futures certifications européennes, notamment autour du schéma EUCS.
L'Union européenne s'est déjà engagée dans cette voie avec des initiatives telles que GAIA-X ou l'IPCEI Cloud, qui visent à améliorer l'interopérabilité, la transparence et la sécurité des données, afin que les informations stratégiques restent sous juridiction européenne.
Les débats autour de la souveraineté européenne et du cloud dépassent le cadre politique. L’ensemble de l’écosystème numérique européen réévalue sa dépendance au cloud public, longtemps perçu comme le choix le plus agile et le plus rapide. Ses limites apparaissent plus clairement : coûts difficilement maîtrisables, risques juridiques liés à une législation extraterritoriale, exposition croissante à une dépendance technologique quasi structurelle.

Selon une enquête Prove AI menée auprès de 1 000 dirigeants, 67 % d’entre eux prévoient de sortir les données d’IA du cloud public au cours des neuf prochains mois. Les charges de travail permanentes et les projets d'IA avancés semblent mieux s'intégrer dans les environnements privés : coûts stabilisés, meilleure intégration avec les infrastructures internes, et surtout contrôle renforcé sur les données sensibles.
Les chiffres attestent de ce changement. La part des organisations investissant plus de 10 millions d’euros dans le cloud privé est passée de 36 % en 2023 à 54 % en 2025. Le modèle hybride (un cloud privé pour les usages critiques, un cloud public pour les besoins ponctuels) s’impose progressivement comme la balance par défaut.
Dans un paysage numérique en rapide évolution, de grands acteurs européens comme Atos, Capgemini et Sopra Steria sont essentiels pour renforcer la souveraineté technologique du continent.
Atos s'appuie sur un ensemble complet de solutions (cloud privé de confiance, infrastructures hybrides sécurisées, environnements souverains conformes aux exigences européennes) tout en mobilisant son expertise en conseil, cybersécurité, intégration technologique et hébergement local. Cette approche intégrée assure la protection des données stratégiques et accompagne les organisations vers des environnements de travail efficaces et contrôlés alignés sur les normes européennes.
A travers sa branche produits Eviden, le groupe démontre également sa maîtrise des systèmes critiques européens, de la gestion des urgences NG112 au système d'alerte national suisse Polyalert, en passant par les technologies de défense comme le simulateur radar ARPEGE, autant de capacités souveraines qui incarnent l'autonomie numérique que l'Europe cherche à renforcer.
Capgemini, quant à lui, structure son action autour de trois piliers : l'accompagnement stratégique des organisations dans la définition de leur trajectoire souveraine ; le déploiement de solutions techniques auditables, hébergées en Europe et alignées sur des benchmarks tels que SecNumCloud 3.2 ; et des partenariats structurants, notamment avec SAP SE, visant à consolider un véritable écosystème numérique européen. Le défi est de permettre l’innovation tout en assurant un contrôle juridique complet des données.
Sopra Steria complète ce package avec une offre cloud souverain certifiée par l'ANSSI et exploitée avec OVHcloud. Le groupe joue un rôle de premier plan au sein de l'alliance ESTIA, qui œuvre à clarifier la notion de cloud souverain et à promouvoir la préférence européenne dans les marchés publics. Une stratégie résolument tournée vers la sécurité, l’agilité et l’indépendance des secteurs publics et sensibles.
Le sommet de Berlin marque une étape importante dans la construction d’une véritable autonomie numérique européenne. La France et l’Allemagne semblent pleinement alignées pour construire une base technologique alliant innovation, sécurité et indépendance. De leur côté, les entreprises amorcent également une transition vers des solutions plus contrôlées et plus souveraines.
Le défi consiste désormais à transformer cette dynamique politique en réalisations tangibles. L’Europe devra renforcer son cadre réglementaire, maintenir des investissements élevés et soutenir ses champions technologiques. Une chose semble sûre : la souveraineté numérique n’est plus un concept théorique. Il devient un projet structurant, porté par des choix politiques forts et par des ESN européens capables de rivaliser avec les hyperscalers étrangers.






